Horlemonde, de Gilles Thomas
Horlemonde, de Gilles Thomas, est un roman de 190 pages paru chez Fleuve Noir en 1980, dans la collection Anticipation. Il est ressorti en 1992, puis en 2008, sous forme de recueil. L’édition présentée ici est celle de 1992, avec une illustration de la très renommée Florence Magnin.
Le jeune Jairo se fait punir en place publique pour avoir commis un menu larcin. Il est exposé à la vue de toutes et tous et reçoit quantité d’immondices à la figure : c’est le prix à payer pour réparer son offense. Survient tout à coup un sublime glisseur d'où jaillissent des êtres non moins splendides, hommes habillés avec recherche, et femmes intégralement nues. Elles décident d'emmener Jairo avec elles et d'en faire leur jouet sexuel. Ce jouet humain de basse caste se voit prêté entre amis, mais certains d'entre eux vont trop loin dans leurs jeux pervers et Jairo finit par se rebeller. Bien entendu, c’est lui, et non ses persécuteurs, qui doit répondre de ses (leurs) actes, et il se retrouve condamné à quinze ans de bagne en exil. Là-bas, il rencontre toute sorte de personnages hauts en couleur. Mais la vie carcérale, même au grand air, est terriblement difficile et Jairo, comme tous les autres, cherche à améliorer son quotidien…
Une vision très limitée de la SF
Les éditeur.trices ont manifestement pensé pendant longtemps que la SF ne s’adressait qu’à un public masculin en pleine crise de puberté. Dès l’ouverture du livre, on nous parle d’un homme aux attributs masculins fort avantageux, immédiatement remarqués par des femmes sublimes, forcément nues et intégralement épilées. À vrai dire, la suite du livre parle beaucoup moins de sexualité, à part quelques remarques qui tombent, par-ci par-là, comme des cheveux sur la soupe. Et pour qui connaît Gilles Thomas, ces remarques semblent tout à fait déplacées. On ressent vraiment que l’auteur s’est astreint à un cahier des charges lui édictant le nombre de scènes « sexuelles » et de remarques destinées à flatter la virilité balbutiante des jeunes lecteurs. On a même l’impression que l’écrivain se débarrasse vite fait de cette corvée, dès le début du bouquin. Comme ça, c’est fait, et la véritable histoire peut commencer. À travers son personnage principal, Gilles Thomas tempère tout de même un peu, et se permet de condamner le viol (« J’avais vécu sans femme trop longtemps… Mais je savais que Britany ne pourrait être consentante, et je n’étais tout de même pas devenu assez animal pour commettre un viol »).
J’ai la quasi-certitude que ces scènes étaient demandées par Fleuve Noir, même si cette demande était implicite. L’éditeur devait penser que les livres de SF en tant que tels n’avaient que peu d’intérêt, et qu’il fallait obligatoirement mâtiner le texte de passages un peu plus chauds pour espérer vendre. C’est bien dommage. Pire encore, ça donne une image très marquée temporellement. Je doute qu’un.e éditeur.trice actuel.le se permette ce genre de remarques sexistes : ce serait en effet très préjudiciable à son commerce. Car finalement, pourquoi restreindre son lectorat à quelques adolescents en mal de reconnaissance, alors qu’on pourrait l’élargir à la population entière, hommes et femmes compris.es ?
C’est d’autant plus dommage, dans Horlemonde, que le texte s’enrichit très vite et nous raconte l’aventure exaltante d’un groupe d’amis épris de liberté. Sans être de la science-fiction extraordinaire, le texte se laisse dévorer et n’est jamais ennuyeux. À vrai dire, je l’avais lu il y a quelques années. Mais, pour les besoins de cette chronique, je dû le relire et j’ai, une nouvelle fois, pris plaisir à voir les développements proposés par l’auteur. C’est un texte bon, franc, direct, sans fioriture. De la SF populaire, accessible à tous. Très visuelle, à tel point que Horlemonde a été adapté en bande dessinée. Le premier tome a été publié en 2008 chez Les Humanoïdes Associés, et le second est sorti en 2013. Une intégrale est parue en 2014.
– (...) Une ou deux fois, tu m’as demandé de quel Territoire j’étais originaire. Jairo, je ne suis pas né sur ce monde. Je suis né sur un autre.
– Un autre monde ! Mais de quoi parles-tu ? Il n’existe pas d’autre monde !
– Si. Il en existe même des quantités. Que sais-tu du tien, celui-ci ?
– Le monde est comme un ballon qui flotte dans le ciel, et le soleil tourne autour.
– Non, c’est juste le contraire, mais peu importe.
Arald commença à me raconter une histoire incroyable. Une histoire de ciel, qu’il appelait espace, de soleils, qu’il nommait étoiles, et de mondes, des planètes…
Je ne compris pas grand-chose à ce récit. Je ne croyais pas qu’Arald mentait, mais ce qu’il disait me semblait plus proche du conte que de la réalité.
Gilles Thomas ? Une autrice ? Eh oui, Gilles Thomas n’est qu’un des pseudos utilisés par Éliane Taïeb, née Grimaître. Cette dernière fait partie de ces autrices qui ont choisi, pour voir leurs textes de SF publiés, de se retrancher derrière un nom masculin (comme André Norton ou James Tiptree Jr, par exemple). Bien que quasi tous ses textes aient été publiés sous le nom de Gilles Thomas, cette écrivaine est maintenant plus connue sous son pseudo de Julia Verlanger.
Julia Verlanger est une autrice française née en 1929 et décédée en 1985, à l’âge de 55 ans. Elle a composé une vingtaine de romans SF et fantastique, et de nombreuses nouvelles. C’est une personnalité très importante de la SF française, dont de nombreux.ses auteur.trices se revendiquent, et qui continue à être très régulièrement rééditée.
En 1986, elle a également laissé son nom à un prix, le prix Julia-Verlanger qui, sous l'égide de la Fondation de France, récompense chaque année un roman SF, fantastique ou fantasy.
Ne boudez pas votre plaisir. Si vous voyez un livre de Gilles Thomas, ou Julia Verlanger, n’hésitez pas. Le seul risque que vous prenez, c’est de passer un bon moment !
Bonne lecture !