Fidèle à ton pas balancé, de Sylvie Lainé

Publié le par tauceti

 

       Fidèle à ton pas balancé est un recueil de nouvelles de Sylvie Lainé. Paru pour la première fois en 2016 chez ActuSF, il a été réédité en 2018. Il compte près de 500 pages. Les illustrations intérieures et de couverture ont été réalisées par Gilles Francescano.

       Le but avoué de cette édition est de regrouper des nouvelles qui étaient auparavant dispersées dans plusieurs publications, dont certaines épuisées. Ce livre nous présente ainsi vingt-six nouvelles de l’autrice, qui abordent des sujets très divers. Des chats du futur qui commandent leurs croquettes, du « fugi-clonage » pour recréer un animal domestique décédé, des papillons pour livrer des messages, etc. C’est sympathique, c’est plaisant, c’est poétique, on se surprend régulièrement à sourire. Et tout à coup, sans l’avoir vu venir, on se retrouve propulsé dans une science-fiction beaucoup plus « cosmique », « scientifique », où l’autrice nous parle de transmutations des corps, de remorquage de satellites, de métavers (une histoire saisissante !), de dauphins modifiés ou encore, dans une nouvelle sublime (oui, sublime, je pèse mes mots !), de personnages recevant un jeu de cartes et des règles régentant leur vie, leur travail, les relations qui les lient les un·es aux autres. Il y en a pour tous les goûts, toutes les humeurs. Les histoires sont très riches et offrent toujours plusieurs niveaux de lecture.
 

Smoke bubble #01 (2016) Steve CARR
       Deux reproches


       J’ai cependant deux reproches à faire. Le premier, c’est, encore une fois, le manque de correction : l’éditeur a fait l’impasse sur une correction professionnelle du recueil. Rien de rédhibitoire, mais justement, ce serait tellement facile d'éliminer les quelques fautes qui restent. Et pour le coup, j’en veux terriblement à ActuSF. Ce bouquin m’a vraiment fait planer, il y a longtemps que ça ne m’était pas arrivé. Vous êtes totalement détaché·e de votre quotidien, vous avez changé d’univers, vous êtes complètement absorbé·e par votre lecture, quand tout à coup, patatras, une grosse faute vous fait brutalement redescendre sur terre ! Ça casse la magie, l’enchantement est rompu. C’est comme si on vous secouait pour vous réveiller brusquement en plein milieu d’un rêve délicieux. C’est comme si vous alliez au bout du monde en avion. Tout se passe à merveille, vous vous rendez dans une destination de rêve avec les gens que vous aimez. Et subitement, des turbulences, violentes, font tanguer votre appareil ou, pire, des trous d’air vous donnent l’impression que votre avion est lâché en pleine chute libre. Il y a de quoi vous gâcher le voyage.

       Le second reproche est plutôt une mise en garde : l’ouvrage est dense. Lorsque vous lisez un roman au long cours, vous connaissez les personnages, les décors, vous n’avez qu’à vous laisser guider par le fil de l’histoire. Une fois votre vitesse de croisière atteinte, vous n’avez plus qu’à vous laisser porter. Il en est de même avec les nouvelles, mais il faut atteindre cette vitesse beaucoup rapidement et, surtout, dès que vous commencez une nouvelle histoire, vous devez faire table rase de tout ce que vous avez lu jusqu’à présent. Cela demande beaucoup plus d’efforts que de se laisser porter par un bon gros roman bien ronronnant. J’ai pris beaucoup de plaisir à lire Fidèle à ton pas balancé. Mais enchaîner plusieurs dizaines de nouvelles, sur presque cinq cents pages, est un exercice exigeant, qui peut parfois sembler indigeste. Bien sûr, on n’est pas obligé de tout lire d’un coup, on peut se contenter de picorer de-ci, de-là. De plus, l’autrice vous indique systématiquement dans quels recueils trouver les différentes nouvelles, au cas où vous préféreriez un format plus réduit (si vous avez la chance de mettre la main dessus).

Une œuvre de la mosaïste britannique Jane Visick

     
       Certain·es font un autre reproche au livre, auquel je n’adhère pas du tout. Le récit est clair, simple. Mais est-ce qu’un texte lourdingue, plein de mots compliqués, rend le récit plus captivant ? Il n’y a qu’à lire certains bouquins où l'on parle à longueur de pages pour ne rien dire pour s’en convaincre. Il est beaucoup plus difficile d’écrire un texte épuré, « simple » justement, qui va droit à l’essentiel, que d’en rajouter des caisses et des caisses (ce qui est à la portée de tout le monde, essayez donc, c’est très facile !) 
Imaginez que vous ayez un arc et des flèches. Vous devez atteindre le centre d’une cible disposée à quelques dizaines de mètres de vous. Pour cela, deux méthodes : vous envoyez plein de flèches dans tous les sens, votre cible est criblée d’impacts. C’est du sale boulot, il y en a partout mais, avec un peu de chance, vous avez peut-être atteint le centre de la cible (rien n’est cependant moins sûr). Ou vous avez l’autre méthode, beaucoup plus élégante : vous bandez votre arc, vous tirez une flèche unique, et vous faites mouche du premier coup, avec maestria. Alors oui, c’est simple, on est d’accord. Mais combien de travail avant d’arriver à cette « simplicité », à cette concision, à cette perfection ?
       Il y a toujours beaucoup plus de boulot derrière un texte simple même si, chez Sylvie Lainé, on perçoit le métier et le talent de l’autrice à chaque page. Et on sent également qu’elle prend plaisir à ce qu’elle écrit, un plaisir contagieux, partagé avec générosité. Elle sait capturer les petits moments de la vie de tous les jours, pour les développer dans une autre dimension. C’est d’ailleurs bizarre qu’on lui fasse ce reproche alors que dans le même temps, on encense les écrivains postmodernes superstars de littérature générale, qui produisent pourtant des textes tout aussi « simples ».
       Ne boudons pas notre plaisir. Ce recueil donne, au cas où l’on en douterait encore, une bonne idée du savoir-faire de l’écrivaine, et de la vaste étendue des thèmes abordés. J’ai pris un plaisir fou à lire ce livre, je suis passée par toute une série d’émotions, de réflexions (qui me hantent encore quelques mois après la lecture, notamment cette histoire saisissante de métavers, thème très à la mode au moment où j’écris cette petite chronique), j’ai été stupéfaite, époustouflée. Une extraordinaire expérience de lecture, un ravissement absolu, c’est peu dire que j’ai adoré !
 

       Court Extrait


       À huit heures précises, alors que Serge s'éveillait à peine, l’imprimante se mit à ronronner et crachoter avec une discrétion polie.
       Serge s’assit dans son lit, le cœur battant à grands coups. La distribution des cartes arrivait toujours de manière inattendue : il avait reçu ses dernières règles de vie seulement vingt jours auparavant. Il décida d’attendre la fin de l’impression pour se lever, réfléchissant aux éléments de sa vie dès à présent modifiés : un nouveau jeu de cartes annulait systématiquement toutes les directives du tirage précédent. 


       Carte blanche, p. 179
 

Sylvie Lainé aux Utopiales de Nantes, 2014. Photo de Lionel Allorge

       La Notice de l’autrice

       Sylvie Lainé est une écrivaine française, née en Normandie en 1957.
       Ingénieure en informatique, elle est actuellement enseignante en sciences de l’information et de la communication, à l'université Jean Moulin de Lyon. Elle commence à publier des nouvelles dès 1984, et reprend l’écriture dans les années 2000, après s’être consacrée à sa carrière universitaire.
       Sylvie Lainé a écrit dans divers registres, des essais, de la poésie, des traductions, etc. Mais son grand domaine de prédilection est la nouvelle, où elle excelle – ainsi qu’en témoignent les nombreux prix qui viennent régulièrement récompenser ses œuvres.
       Ces textes reviennent périodiquement au devant de la scène. Ne les ratez pas, ils vous offrent toujours de grands moments de lecture, riches en réflexion et en émotions !

       Bonne lecture !

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