La Résistante, par Elizabeth Moon

Publié le par tauceti

 

       La Résistante (Remnant Population, en anglais) est un roman de 380 pages écrit par Elizabeth Moon. Il a été publié en français chez J'ai Lu en 1999, dans une traduction de Pierre-Paul Durastanti et Bernadette Emerich. L'illustration de couverture a été réalisée par Antoine Poulain.


 
       L’histoire proprement dite

       La Résistante nous raconte l’histoire d’une petite minette badass au caractère bien trempé qui envoie bouler tout le monde. Elle s’arrange pour se retrouver seule sur une planète, tandis que les autres colons sont obligés de partir sur ordre de leur employeur. Enfin la paix ! Enfin tranquille pour ramasser les piquebaves du potager, et faire de jolis bouquets de journelierre (bien que ça ne tienne jamais bien longtemps, un bouquet de journelierre). Seule ? Tranquille ? Hm, peut-être pas tant que cela. Et si la planète était habitée ? Et, pire, si les humains ne l’avaient pas totalement abandonnée ? Ah, au fait, j’ai oublié de vous dire : notre petite minette badass s’appelle Ofélia, et elle a 72 ans !
 
       Cachez cette vieille que je ne saurais voir

       Ofélia est un personnage principal hors du commun (mais pourquoi faut-il que ce mot ne s’utilise qu’au masculin ?). Une femme, certes, comme souvent dans ces chroniques. Mais pas une femme présentant des troubles autistiques (comme ici, ou ), ni la figure de proue d’une « minorité » ethnique (par exemple ici). Non, pire que tout, Ofélia est une vieille ! Une vraie vieille toute moche, toute crochue, fagotée n’importe comment (quand elle n’oublie pas tout bonnement de s’habiller !) L’anti-héroïne de SF par excellence ! 
       Passé un certain âge, les femmes deviennent invisibles. On décide qu’elles ne sont plus désirables, qu’elles ne servent plus à rien puisqu'elles ne peuvent plus enfanter, qu’elles sont laides : on les met de côté, on les cache. Au cinéma, c’est patent. Les rôles de vieux sont joués par des hommes âgés, chauves, gros, ridés, pas beaux. Les rôles de vieilles sont jouées par quelques « chanceuses » qui sont obligées de sans cesse recourir à la chirurgie esthétique pour se maintenir dans la course ou, beaucoup plus fréquemment, par des minettes de 25 ans (oui, parce qu’au-delà de 30 ans, une femme est considérée comme vieille. Imaginez à 50 ans ou, comme Ofélia, à plus de 70 ans !) 
       Ces préjugés jeunistes, largement véhiculés dans nos sociétés occidentales, se retrouvent fatalement dans les différentes illustrations de La Résistante.

       • La couverture française, réalisée par Antoine Poulain, nous montre une vieille qu’on croirait tout droit sortie d’une tragédie. Elle semble affolée et court avec un monstre dans ses bras, devant cinq vaisseaux lancés à sa poursuite. Nous sommes très loin de ce qui est écrit dans le roman où Ofélia garde souvent son flegme, où elle fait face plutôt que de s’enfuir, et surtout où elle porte en permanence non pas de lourdes robes ternes comme on voit sur la couverture, mais plutôt des tenues légères, bariolées et ultra colorées. La couverture est grise et triste, comme si c’était une tentative pour policer cette vieille qui sort de son rang, pour, en quelque sorte, la remettre à sa place.


 
       • La couverture américaine de la première édition, aux éditions Simon & Schuster, est elle aussi à côté de la plaque. On y voit en effet une femme un peu ronde, mais surtout très jeune :
 


       • La couverture polonaise nous présente une femme qui doit avoir 30/35 ans, soit moitié moins qu’Ofélia. Pour nous faire croire qu’elle est vieille, on l'a affublée d'une longue robe violette, mais elle n’a aucun cheveu gris. Une vieille ? Avec des cheveux gris ? Il ne faut quand même pas trop en demander !


       • La couverture italienne ne prend aucun risque, elle nous montre un vaisseau et le titre est au masculin. On ne comprend absolument pas de quoi, ni surtout de qui il s’agit.
 


       La SF littéraire accepte au compte-goutte quelques écrivaines en son domaine. Lorsqu’elle ouvrira grand sa porte aux vieilles et à tous ceux et toutes celles qui sont considéré·es comme faisant partie d’une «  minorité » (sociale, ethnique, sexuelle, culturelle, etc.), on aura enfin franchi un grand pas.
 
       Mon Avis

       On lit ici ou là que La Résistante est un Robinson Crusoé raté. Alors oui, je vous le confirme, à ce niveau-là, le roman est vraiment complètement loupé ! Pourquoi ? Parce ce n’est tout simplement pas le propos de l'écrivaine, et qu’il faut pour une fois changer sa grille de lecture, et sortir (un peu) de sa zone de confort. Si vous voulez lire du Robinson Crusoé, j’ai un excellent conseil à vous donner : lisez Robinson Crusoé. N’essayez pas d’aller chercher une histoire là où elle n'est pas, pour ensuite accuser l’autrice d’avoir raté son bouquin.


       Ce qui retient l’attention, dans le roman d’Elizabeth Moon, c'est la transformation et l'affirmation d’Ofélia. Cette personnalité haute en couleurs décide à un moment donné de sa vie de s’en remettre à son intuition, plutôt qu’à tout ce qu’on lui a toujours enseigné et qui va franchement à son encontre. Il y a certes un aspect « premier contact ». Mais en toile de fond, ce qui se dessine assurément, c'est le destin de cette femme extraordinaire, son évolution, comment elle s’extirpe des conventions sociales qui l’oppriment depuis toujours. Elle réussit là où tous et toutes les autres ont échoué. Grâce à son bon sens, son empathie, par opposition à la morgue et aux intentions belliqueuses de personnes pourtant bien mieux considérées qu’elle d’un point de vue social ou intellectuel.


       Certains sujets tabous sont abordés, du point de vue d’une femme, des sujets vraiment dérangeants qu’on rechigne souvent à évoquer. Par exemple l’ingratitude des enfants envers leurs aînés ou les parents qui préfèrent un de leurs enfants plutôt que l’autre, le despotisme de la jeunesse qui exige des anciens qu’ils leur fournissent tout, tout de suite. Pour une fois, ça change. Mais rassurez-vous, vous aurez votre content d’espace, d’exoplanète, de vaisseaux spatiaux, de technologies connues et inconnues, de civilisations extraterrestres. Car oui, j'insiste, La Résistante est un vrai bon roman de SF.
       C’est peu dire que j’ai adoré ce livre, un gros coup de cœur. Ofélia a beau râler et ne pas se priver de dire tout haut ce qu'elle pense, on est heureux de l’accompagner dans son émancipation, de voir son carcan se fendiller pour donner naissance à une nouvelle personne rayonnante et « vraie ». C’est très libérateur, c’est carrément jubilatoire, et pour couronner le tout, il y a plusieurs passages à mourir de rire.
 
       Attention cependant à un point très important :
       Faites quelques courses avant de lire ce bouquin. En effet, Ofélia cuisine beaucoup, et malheureusement, elle cuisine bien. Du coup, vous avez les crocs à la simple lecture du roman et vous n’avez de cesse, une fois le livre refermé, d’aller vous concocter un bon petit plat. En panne de recette ou d’idée ? Pas de souci, tout est dans le livre. Vous allez vous régaler !
 


       Court Extrait

       – Vous n’avez pas essayé de les aider ? s’enquit finalement celui qui n’était pas armé.
       Ofélia lui décocha un regard noir, souhaitant en silence à ce dindon tous les malheurs du monde. D’abord, il l’avait questionnée comme si elle était une gosse demeurée et ensuite il l’imaginait dotée de pouvoir magiques pour pouvoir franchir des milliers de kilomètres afin de sauver des jeunes gens débordants de santé d’une attaque meurtrière. Ridicule, insultant… Murée dans un silence de mauvais augure, elle passa en revue tous les jurons de son répertoire jusqu’à ce que ce type devînt rouge de honte.
       Alors la femme reprit la parole pour lui demander depuis combien de temps elle se trouvait ici. Encore une question idiote, bien que moins insultante. Ofélia se dit qu’il était effectivement dans l’ordre des possibilités qu’une sotte vieille femme se fût crashée sur cette planète dans son propre vaisseau spatial, ou eût atterri dans un but de prospection ou autre. Elle donna une réponse le plus succincte possible. Le choc qui se peignit sur le visage de la femme quand elle lui narra la vérité au sujet de l’attitude de la Compagnie envers les colons âgés lui fit plaisir. Elle ne savait pas tout, cette jeune péronnelle, même si elle avait un bon boulot.

 

Elizabeth Moon, une photo de Szymon Sokol


 
       La Notice de l’autrice

       Elizabeth Moon est une écrivaine de SF et de fantasy née en 1945 aux États-Unis.
       Elle suit des études d'histoire à l'Université, avant de s'engager dans les Marines, au département informatique. Elle reprend ensuite ses études où elle obtient à nouveau un diplôme, en biologie. 
       Elizabeth Moon a de multiples autres talents, parmi lesquels l'accordéon, le chant choral, et c'est aussi une épéiste émérite.
       Elle commence sa carrière littéraire à l'âge de 35 ans. Elle publie des chroniques dans un journal local. Son premier roman, paru en 1989, est immédiatement couronné d'un prix. La Résistante est sélectionné pour le prix Hugo du meilleur roman, et l’écrivaine obtiendra le Nebula, en 2003, pour son livre La Vitesse de l'obscurité.
       Elizabeth Moon a écrit une trentaine de romans, dont plusieurs grandes sagas. Elle a également publié quelques nouvelles. Seule une petite partie de son œuvre est traduite en français, à peine un tiers. C'est bien dommage car on mériterait de mieux connaître cette écrivaine, iconoclaste à sa façon.


       Bonne lecture (et n’oubliez pas les courses) !

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