La Lumière lointaine des étoiles, par Laura Lam

Publié le

 

       La Lumière lointaine des étoiles (Goldilocks en anglais) est un roman de 450 pages écrit par Laura Lam. Il a été publié chez ActuSF en 2022. Ce sont Hermine Hémon et Erwan Devos qui se sont chargés de la traduction, Gabrielle Rodelet s’est quant à elle attelée à la correction, tandis que l’illustration de couverture a été réalisée par Zariel.


       L’histoire

       À une époque où les pôles ont complètement fondu, des femmes volent une vieille capsule pour rejoindre un vaisseau en orbite. Leur but ? Rallier une destination mythique : la planète Cavendish, qui pourrait permettre un nouveau départ à l’humanité. Mais le vaisseau connaît des avaries en cascade, suite aux mauvais calculs réalisés par les hommes à terre, et l’ambiance à bord ne cesse de se détériorer.


       Mercury 13

       Laura Lam dédicace son roman à toutes les astronautes, et notamment à « l'équipage Mercury 13 ».
       Dans les années 50, les États-Unis rêvent d'envoyer des humains dans l'espace. Sept pilotes de chasse sont alors recrutés pour devenir les premiers astronautes. Ils forment le groupe « Mercury 7 ».
       Au début des années 60, la NASA demande à un médecin, William Randolph Lovelace, de créer des tests pour mesurer l'endurance et la résistance de ces sept futurs astronautes. Il a alors l'idée de faire passer exactement les mêmes tests, physiques et psychologiques, à un groupe de treize femmes qu'il recrute parmi les meilleures pilotes du pays. Ce groupe non-officiel se nommera « Mercury 13 ».

Une partie de l'équipage Mercury 13


       Malheureusement pour elles, ces femmes dépassent toutes les attentes. Elles sont meilleures et beaucoup plus résistantes que les hommes du Mercury 7. Elles supportent sans broncher les entraînements intensifs et très éprouvants imaginés par le docteur Lovelace. Elles excellent dans tous les domaines, et plus particulièrement dans les tests de privation sensorielle et d'isolement. D’autre part, leurs aptitudes cardio-pulmonaires sont plus développées que celles des hommes.
       La NASA a vent de ces entraînements officieux. Et même si plus de mille femmes ont été pilotes de guerre entre 1939 et 1945, l’agence spatiale réaffirme que les femmes ne peuvent en aucun cas intégrer la NASA, étant donné qu'elles n'ont à l'époque pas le droit de piloter d'engin à réaction, ni d'exercer le métier de pilote d'essai. En outre, dans son discours du 12 septembre 1962, le président John Fitzgerald Kennedy avait affirmé la volonté des États-Unis d'envoyer un homme sur la lune. C'est donc bien un homme qu'on y enverrait, pas une femme. Le programme Mercury 13 est abandonné, et les hommes du Mercury 7 peuvent donc continuer à s’entraîner sans crainte de la concurrence féminine…
       Il est tout de même assez navrant qu’un État soit à ce point machiste qu’il préfère rater une étape majeure dans la course à l’espace qui l’oppose aux Soviétiques, plutôt que de laisser des femmes, pourtant hautement qualifiées et qui ont largement fait leurs preuves, occuper quelques instants un rôle de premier plan. Dommage pour eux : les Soviétiques ont été les premiers à envoyer une cosmonaute dans l'espace, à savoir Valentina Tereshkova en 1963. Il faudra encore patienter vingt ans avant que la NASA ne permette à une femme de voler (Sally Ride en 1983). Et il faudra attendre près de cinquante années supplémentaires pour qu’une astronaute du programme Mercury 13, Wally Funk, participe enfin à une sortie suborbitale, mais sur un vol privé cette fois-ci.

Valentina Tereshkova


       La Lumière lointaine des étoiles est un vibrant hommage (ou plutôt un femmage !) à ces femmes du Mercury 13, et à toutes les femmes à qui on met des bâtons dans les roues ou qu’on écarte tout bonnement de la circulation parce qu’elles font aussi bien, si ce n’est mieux, que les hommes. Laura Lam va même jusqu’à donner les noms de plusieurs pionnières du programme Mercury 13 à ses personnages.


       Les Sujets abordés

       Les femmes occupent une place tout à fait prépondérante dans cet ouvrage. Les descriptions les mettent souvent en valeur, contrairement à ce qu’on lit habituellement en SF. De la même manière, les sujets qui les touchent directement sont abondamment étudiés. Laura Lam nous parle des femmes qui mettent leur carrière en péril pour élever leurs enfants. On ne les attend plus lorsqu’elles veulent faire leur retour professionnel, et elles sont obligées de recommencer du bas de l’échelle. Dans les mêmes circonstances, les hommes ne sont pas obligés de quitter leur emploi, et reçoivent même souvent une promotion à la naissance de leurs enfants. Laura Lam nous dit que les chances des filles sont, dès la naissance, bien inférieures à celles des garçons, quel que soit le domaine. Elle aborde également le thème de la contraception, de l’avortement, de toutes les raisons qui poussent les femmes à en arriver à cet extrême, et du traumatisme que cela engendre forcément. Elle évoque aussi l’intersectionnalité et tous ces sujets « modernes » qui sont dorénavant de plus en plus développés dans les médias. Ou en tout cas un peu moins ignorés que par le passé, et qu’on ne voit pour ainsi dire jamais traités dans la SF écrite par les hommes, bien qu’ils touchent au moins la moitié de l’humanité.

Une image de Felix Mittermeier sur Pixabay


       Un roman féministe ?

       Le mot, ou plutôt le gros mot, est lâché tel une insulte page 94, où l’on traite la principale protagoniste du roman de « petite scientifique féministe qui brass(e) de l’air. Une femme qui (a) plus d’argent que de jugeotte ».
       La Lumière lointaine des étoiles est assurément un roman féministe, en cela qu’il revendique des droits pour les femmes. N’ayez crainte, le féminisme n’est pas une volonté d’asservir les hommes. C'est plutôt une application stricte des droits humains : les femmes veulent être payées autant que les hommes à travail égal, veulent retrouver leur boulot après leur congé maternité, veulent avoir les mêmes chances que les hommes d’aller dans l’espace ou de faire carrière sans qu’on insinue qu’elles ont « forcément couché pour en arriver là », que leurs compétences soient reconnues comme celles des hommes, qu’elles aient le respect qu’on doit à tout être humain, etc. En somme, le féminisme réclame tout ce qui est accordé aux hommes de plein droit, alors que c’est souvent refusé aux femmes pour cause de… en fait, on ne sait pas trop pourquoi !
       Si vous pensez ne pas pouvoir supporter de telles revendications, pourtant légitimes, passez votre chemin. Mais à l’instar des États-Unis qui ont raté une occasion majeure dans leur histoire spatiale en refusant d’envoyer une femme dans l’espace, vous passerez à côté d’un super roman aussi instructif, et progressiste, que divertissant.
 

Une image de Frank Cone sur Pexels


       Mon Avis sur le livre

       On ne va pas y aller par quatre chemins : j’ai trouvé ça très mal écrit. Il y a beaucoup de phrases nominales, rendant parfois la compréhension difficile. Certaines traductions semblent très hasardeuses, et on trouve parfois des expressions carrément non traduites. Certaines phrases n’ont ni queue ni tête parce que les personnes chargées de la traduction ont laissé passer des faux-amis sans s’en rendre compte. Mais franchement, de bons gros faux-amis qui arrivent pourtant avec leurs gros sabots (definitely, actually etc.) et dont vous apprenez à vous méfier dès le collège. C’est comme les « je veux dire » (I mean) tous les trois mots dans les dialogues : en français, ça devient vite très lourd ! Ce texte aurait mérité plus d’attention pour son passage de l’anglais au français, et plus de méticulosité dans sa correction. De plus, je n’ai pas du tout aimé le tournant que prend le récit dans le dernier tiers du livre. J’ai eu du mal à y croire, j’ai trouvé ça un peu mégalo et pas vraiment nécessaire à mon sens (affaire de goût).
       Malgré ces gros défauts qui plombent le texte, j’ai vraiment adoré ce roman. C’est jeune, c’est moderne, c’est enlevé. On y parle de pleins de sujets différents qu’on n’a pas l’habitude de voir traités. Laura Lam m’a aussi beaucoup et très agréablement étonnée en creusant les aspects juridiques de l’espace : à qui appartient le cosmos ? Quelqu’un peut-il s’approprier une planète ? Comment déterminer qui est propriétaire d’un endroit quelconque de l’espace ? Est-ce la personne qui a découvert cet endroit ou la première à s’être rendue sur place ? Cela peut sembler anodin de prime abord, mais ces questions se posent de plus en plus fréquemment avec ces multimilliardaires actuels qui cherchent à tout prix les moyens de s’exiler sur d’autres planètes ou saturent le ciel terrestre de milliers de satellites en orbite basse. Si ces objets artificiels bénéficient à quelques pays riches pour leurs connexions Internet, ils risquent à terme de complètement masquer le peu d’étoiles qui restent visibles par les humains sur Terre ou d’engendrer des problèmes de collisions. Alors à qui appartient l’espace ? La question est tout à fait pertinente et mérite d’être posée.


       Le roman nous propose également quelques pointes de « hard-science » que les amateurs et amatrices sauront apprécier. Les remerciements en fin d’ouvrage en attestent : La Lumière lointaine des étoiles est un livre hautement documenté, et assez pointu sur pas mal de sujets de science, de philosophie, de société. Un ouvrage dense, qui se lit néanmoins comme un récit d’aventures. 
       Mais ce que j’ai le plus apprécié, dans cet ouvrage, c’est son effronterie, son petit air de dire « On se lève et on se casse ». C’est véritablement empouvoirant, eh oui, encore un gros mot : ces femmes font ce qu’elles veulent, sans craindre le regard des autres, et notamment celui des hommes qui les ont pourtant jugées et rabaissées toute leur vie. Alors oui, elles ont quand même un peu peur d’être poursuivies en justice pour avoir volé ce vaisseau, mais ça ne les empêche pas de faire ce qu’elles pensent être juste et mérité, et ça ne les empêche pas de se sentir légitimes dans ce qu’elles entreprennent.

       La Lumière lointaine des étoiles, c’est du féminisme joyeux : on est loin de la posture de victime, au contraire. Ces femmes se plaignent quand même de temps en temps d’avoir été écartées du programme spatial qu’on leur avait promis d'intégrer, ou qu’on se soit attribué leurs travaux, mais le récit va au-delà. Il est séditieux, gentiment subversif, tout à fait réjouissant. Ce roman m’a véritablement et durablement exaltée. S’il ne devait y avoir qu’un livre pour représenter ce blog, ce serait La Lumière lointaine des étoiles de Laura Lam. Lisez-le !

 


       Court Extrait

       Tout le monde s'était habitué à donner des ordres aux robots dotés d'agréables voix féminines. Alexa, Siri, Sophia, Sage, tu peux faire ça. Un guilleret « okay » (sic) pour toute réponse, et elle accomplissait vos ordres. Tout le monde l'avait fait pendant des années jusqu'à ce que les femmes remarquent que les hommes de leur vie avaient été conditionnés à en faire tout autant avec elles. Mais il était alors trop tard.
       Même Cole s'était comporté ainsi avec Naomi. Il lui avait demandé un verre d'eau, sauf que cela n'avait pas vraiment été une requête, et il n'y avait eu aucun remerciement quand le verre avait tinté contre le dessous de verre en céramique. Elle l'avait fait sans même y réfléchir. Elle aussi avait été conditionnée.
       Ses yeux demeurèrent secs dans la voiture. À l'aéroport, un autre robot automatisé avec une voix féminine l'enregistra et lui envoya sa carte d'embarquement sur son téléphone.
       « Faites un agréable voyage, dit la voix robotique.
       — Merci », dit-elle, et l'homme derrière elle dans la file lui lança un regard étrange.

 

Laura Lam, par Byronv2r


       La Notice de l’autrice

       Laura Lam est une autrice née en 1988. Elle a grandi non loin de San Francisco, en Californie. D'abord américaine, elle possède dorénavant une double nationalité et vit en Écosse. Après avoir suivi des cours de littérature et de création littéraire à l’université, elle occupe divers petits boulots, dans un cabinet d'avocat ou comme bibliothécaire dans une entreprise.        
       Son premier livre, Pantomime (non traduit en français), paraît en 2013. Elle a écrit quelques nouvelles et une vingtaine de romans, sous le nom de Laura Lam, L.R. Lam ou encore de Laura Ambrose. Malgré sa jeune carrière, Laura Lam a déjà reçu plusieurs prix pour son travail. Seuls deux de ses ouvrages ont été traduits en français à ce jour : La Lumière lointaine des étoiles et Cœurs artificiels. On attend avec impatience l’arrivée de nouveaux romans de Laura Lam en français !


       Bonne lecture !


       Pour aller plus loin : 
       ♦ Très belle conversation, très inspirante, en anglais, entre Laura Lam et Anne Leckie (le son du début est horrible, mais ça ne dure pas longtemps) ► ICI 
       ♦ Mansplaining, « La Violence des hommes qui perdent le pouvoir », une émission de dix minutes. Thomas Messias nous parle des femmes qui réussissent mieux que les hommes, par exemple cette athlète suisse, Nicole Hanselmann qui, dans une course cycliste, approche dangereusement du peloton des hommes. Les arbitres lui demandent de s’arrêter dix longues minutes, avant de l’autoriser à reprendre son parcours ! À écouter ► ICI
       ♦ Documentaire Netflix sur le programme Mercury 13, voir la bande-annonce ► ICI

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article