Connexions interrompues, par Ketty Steward

Publié le

SF féminine Rivière blanche

 

       Connexions interrompues est un recueil de 240 pages, comprenant dix-huit nouvelles composées par Ketty Steward. Il est paru en 2011 chez Black Coat Press, dans la collection Rivière Blanche. L’illustration de couverture a été réalisée par Yoz, et la préface nous est servie par Sylvie Lainé


       Connexions interrompues, ce n’est pas de la SF hollywoodienne à grand spectacle. Non, c’est plutôt de la SF intimiste, qui présente un léger décalage dans le temps. Une SF bouleversante qui nous parle de sujets parfois très douloureux. De la SF sociale. L’autrice nous parle même de « SF communiste ».
       Ce sont des textes de jeunesse, de qualité inégale. Certains semblent classiques, très scolaires, à tel point qu’ils en deviennent émouvants. Mais ils sont peu nombreux. En revanche, le style très particulier de l’autrice s’affirme souvent de façon très marquée. Le ton est détaché, comme distant, les mots sont clairs et précis. On a l’impression d’évoluer dans un monde parallèle, dans une réalité décalée, à peine plus futuriste que la nôtre, mais pas meilleure pour autant.
 

Réalité parallèle, une image de Bastien Buono


       La première nouvelle est excellente et fort intelligente, mais je dois avouer que je me suis braquée très vite après. Non pas que le texte devienne idiot et mal écrit (!), mais l’autrice nous parle tout à coup de maltraitances infantiles, comme j’ai eu à en subir par le passé. Même si la chair cicatrise, certaines blessures ne se referment jamais. C’est un sujet encore très douloureux chez moi, et tout le monde n’a pas les capacités de résilience de l’autrice. Je ne m’y attendais pas du tout, surtout dans un livre de SF, ça ne m’était jamais arrivé auparavant. J’ai pris ça de plein fouet, et je l’ai très mal pris, à tel point que j’ai failli abandonner ma lecture, et renoncer à cette chronique. Du coup, j'ai dû me tenir sur mes gardes pendant tout le reste de la lecture, de peur de devoir à nouveau subir « ça ». Ketty Steward a le sens du verbe, elle vise et fait mouche à chaque fois. Ce sujet des violences infantiles m’a beaucoup secouée, mais je suis certainement passée à côté d’autres thèmes qui me touchent moins personnellement, ou que j’ai su « digérer ». Si vous n’êtes pas à l’aise avec certains sujets sensibles (l’esclavage et l’esclavagisme, la douleur, le matricide, la maltraitance, l’âgisme, le petit Grégory (eh oui !), le clonage, l’horloge biologique, etc.), soyez donc prévenu·e, car Ketty Steward en aborde un certain nombre dans ce petit recueil.


       Heureusement, la dernière nouvelle est excellentissime et permet d’oublier les tracas de lecture qui ont précédé. Elle est fort habilement composée de micro-nouvelles qui s’articulent entre elles via de menus détails. C’est brillant, et cela donne envie de continuer à explorer les écrits de madame Steward.
       D’ailleurs, si vous voulez vous faire une idée du style ou des thèmes abordés par l’autrice, n’hésitez pas à écouter « Eugénie grandit », sa première fiction radiophonique sortie fin 2019. C’est entièrement gratuit. Pour écouter cette œuvre magistrale, rendez-vous sur le site de France Culture ou cliquez directement ► ici (possibilité de téléchargement pour une écoute ultérieure).


       Court Extrait
       (Nouvelle : « Et Rose, elle a vécu », p.18)
        « Ton nom sera Lila » avait annoncé Rose, une fois accomplies les démarches indispensables à la location de son auxiliaire de soins. Par ces mots, l'identité précédente de l’employée avait été, en quelque sorte, effacée afin qu’elle ne s’imprègne plus que de sa mission à venir.
       Le pouvoir accordé aux employeurs de changer les noms, dérivé des pratiques militaires, divisait l'opinion dans la société civile. Un bon tiers de la population le jugeait normal, considérant que les employés appartenaient effectivement à ceux qui leur permettaient de manger. Pour certains, il s’agissait d’une coutume avilissante s’apparentant aux pratiques de l’esclavage et de la prostitution. D'autres estimaient que ce traitement devait être réservé aux robots domestiques et épargné aux travailleurs humains. Les ortho-psychologues, quant à eux, s’inquiétaient davantage pour l’équilibre mental et l’efficacité des employés que pour leur dignité. Aucun de ces arguments, cependant, n’avait ému le législateur, et c’est dans son plein droit que Rose avait rebaptisé Lila.

 

Ketty Steward, par Potiron Mignon


       La Notice de l’autrice
       Ketty Steward est une écrivaine, nouvelliste, poétesse et chanteuse française. Elle est née en 1976 à la Martinique.
       Ketty Steward possède un bagage académique plutôt conséquent puisqu'elle est diplômée en mathématiques, en sciences du travail, et en psychologie. Après avoir officié durant quinze ans comme conseillère principale d’éducation, elle exerce actuellement en tant que psychologue clinicienne. Elle anime également des ateliers d'écriture (auxquels je rêverais de participer !)
       Ketty Steward est publiée depuis une vingtaine d'années, que ce soit pour ses romans et ses très nombreuses nouvelles. Ses œuvres sont traduites dans au moins cinq langues, et diffusées dans le monde entier. Son style, unique, en fait une écrivaine de tout premier plan dans le paysage littéraire français. Ne ratez pas ses publications !


       Bonne lecture.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article