Avis Express : Honni soit qui mal y pense, par Henriette Walter

Publié le par tauceti

       On trouve vraiment des trucs incroyables ! Honni soit qui mal y pense, par exemple, ce livre d'Henriette Walter qui analyse les échanges continuels entre le français et l'anglais. Figurez-vous que c'était mon sujet de mémoire en master de linguistique, une dizaine d'années avant la sortie du bouquin !
       Madame Walter est une vraie savante bien sûr, elle nous parle aussi des Pictes, des Saxons, des peuples germaniques, des Normands bien sûr. Elle nous raconte l'expansion des deux langues dans le monde, et notamment aux Amériques. Elle nous dépeint la grande épopée des dictionnaires. Elle nous explique le retour de mots latins en français via l'anglais (par exemple "versus", "campus", "item", "ratio"...). 

     
       J’ai juste quelques doutes sur les apports considérables de William Shakespeare à sa langue. J’ai longtemps étudié l’histoire de l’anglais à la fac, et je n’ai jamais entendu parler de cela. En cherchant un peu, on trouve que deux écoles s’affrontent : les gens qui croient dur comme fer que Shakespeare a littéralement révolutionné l’anglais, et les autres, comme moi, qui pensent que tout ça n'est qu'une légende urbaine.
       Étonnant qu’une langue qui présente déjà un double, voire un triple lexique (anglais, français, latin) nécessite encore d'être enrichie. D’ailleurs, même en prenant les chiffres les plus extravagants, on apprend que Shakespeare aurait apporté à l’anglais 2000 mots et expressions (Henriette Walter annonce 1700 mots). Certes, c’est beaucoup pour un seul homme, mais très peu au niveau d’une langue qui comporte plusieurs centaines de milliers de mots. D’ailleurs, lorsqu’on creuse un peu, on s’aperçoit qu’il aurait "inventé" en majorité non pas des mots, mais plutôt des expressions comme, par exemple, "globe oculaire". Cela n’a rien d’extraordinaire en soi, Shakespeare est un écrivain, un dramaturge de talent, sa matière première, ce sont les mots. Normal qu’il les assemble, les triture, les mélange pour créer ses effets. C’est même ce qui fait son style, unique. Alors tant mieux si Shakespeare a enrichi sa langue, mais les jeunes de banlieue sont souvent tout aussi créatifs, au quotidien, sans pour autant qu’on les porte au pinacle.
       D’ailleurs les dictionnaires Merriam-Webster nous donnent une explication fort plausible à cette croyance assez répandue à propos de Shakespeare et sa langue. En 1928 paraît le fameux Oxford English Dictionary qui, très souvent pour illustrer et contextualiser les mots, présente un extrait de Shakespeare, avec une date. Le dictionnaire ne prétend nulle part que c’est William Shakespeare qui a inventé les mots en question. Mais ses lecteur·rices, voyant des dizaines d’exemples où la première occurrence écrite d’un mot est attribuée à Shakespeare, ont vite fait de croire que c’est lui qui l’a inventé. En vérité, le mot existait peut-être déjà avant, mais il n’avait probablement jamais été ni écrit, ni publié ni diffusé à grande échelle. Illustrer un mot avec un extrait daté de William Shakespeare atteste juste que le mot existait à telle date, mais ne nous dit rien sur son invention, ni sur son entrée dans le vocabulaire.

       Mais laissons de côté ces querelles de clochers où tout le monde a toujours raison et tort à la fois. Même si mon humble avis diverge de celui de l’autrice, Honni soit qui mal y pense n'en demeure pas moins un super bouquin, sympathique, ludique – il y a des quiz (quiz !!!) à quasi toutes les pages. Henriette Walter a fait en sorte de toujours rester compréhensible par tous et toutes. Son ouvrage est didactique, pédagogique, même si vous n’avez aucune formation en lexicologie. Honni soit qui mal y pense est un livre que je ne m'attendais certainement pas à trouver – et surtout pas dans une boîte à livres d'un bled de 300 habitants perdu au fin fond de la campagne bourguignonne ! Comme quoi, les bonnes surprises arrivent parfois de là où on les attend le moins !

       Bonne lecture !

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