Convocation A.N.P.E.
Aujourd’hui, j’étais convoquée par l’A.N.P.E. pour une « formation destinée à me remobiliser ». Car, comme vous l’avez lu dans le précédent article, je suis très fortement démobilisée en ce moment, et l’A.N.P.E. le sait.
Ce que je ne comprends pas bien, c’est que ce n’est pas mon A.N.P.E. qui m’écrit, c’en est une autre. Loin, très loin de chez moi. Mais la convocation est péremptoire, je suis obligée d’y aller, sinon je suis radiée. Et même « RADIÉE », en majuscules passées au Stabilo, des fois que je n’aurais pas bien compris.
Donc j’y vais. Dix kilomètres à pieds, ça use les souliers, mais si je suis radiée, je peux dire adieu à mes souliers.
Arrivée sur place, il y a comme un souci. Nous sommes trois cents ! Et il n’y a que deux salles de « formation à la remobilisation » qui ne peuvent
accueillir que dix personnes chacune. Il y aussi l’organisation AC contre le chômage qui nous explique. L’A.N.P.E. ne peut plus s’occuper de nous, faute de moyens. Donc elle fait appel à d’autres
organismes. Aujourd’hui, c’est la S.J.T., « Solidarités et Jalons pour le Travail ». Cette société gagne 10 euros par convocation qu’elle aura récupérée (pour les gens qui se seront
présentés), et 385 euros par personne qu’elle aura réussi à garder pour son premier stage. Oui, car la « formation à la remobilisation » est constituée de cinq stages, à raison d’un
tous les quinze jours.
Un monsieur était là, qui avait déjà suivi cette formation cinq fois. Bien obligé, sinon il était radié au Stabilo lui aussi ! Donc le premier jour, on vous apprend à faire votre C.V. C’est
fort, vu que ça fait déjà plusieurs années que vous êtes au chômage, et que c’est le premier truc que vous apprend l’A.N.P.E. Le deuxième jour de « formation à la remobilisation », on
vous enseigne comment écrire une lettre de motivation. C’est fort, vu que ça fait déjà plusieurs années que vous êtes au chômage, et que c’est le premier truc que vous apprend l’A.N.P.E. (ah
oui ? vous avez remarqué que j’ai fait un copié-collé ?). Mais attention, la troisième journée du stage, ça change ! On vous montre comment vous
« relooker ». Oui ! Coiffure, maquillage, petit tailleur, on vous donne tous les secrets pour réussir – mais évidemment pas l’argent pour vous payer tout ce luxe. Pour les
autres journées, je ne sais pas, mais ce n’est guère important, ce que j’ai appris me suffit.
Nous sommes donc trois cents, et il n’y a que deux salles ne pouvant accueillir que vingt personnes en tout. Qu’est-ce que vous avez envie de faire dans ce cas-là ? Partir, bien entendu ! Et hop, radié au Stabilo ! Un chômeur de moins dans les statistiques du gouvernement !
Toutes les personnes convoquées, on s’en rend compte sur place en discutant, sont à l’A.S.S., possèdent souvent pas mal de diplômes, et ont entre 35 et 65 ans. Des gens à qui la société refuse souvent tout travail. Et un gros problème pour l’état car, contrairement
aux Rmistes, nous sommes comptabilisés comme chômeurs, ce qui n’est pas bon pour les statistiques.
Mais nous avons aussi une femme de ménage, une vraie, il n’y a pas de sot métier. Cette dame a été licenciée, après onze ans de bons et loyaux services, parce qu’elle refusait un stage
d’anglais. Et elle avait eu l’impudence de demander pourquoi, tout à coup, il fallait qu’elle se mette à causer anglais avec sa serpillère ! On en rit sur le coup, mais on entend tout
de même des histoires assez ahurissantes…
Bon, du côté de la S.J.T , c’est un peu la panique. Surtout qu’AC commence à s’activer aussi. Coup de fil à l’ANPE du secteur : ils ne sont pas au courant. Et là, on est plusieurs à dire qu’on ne dépend pas ce cette agence, mais d’une autre. Et on apprend même que des gens de province ont été convoqués avec nous aujourd’hui : un monsieur de Toulouse, un de Toulon, un d’Angers. Qui ont payé le voyage de leur poche, bien entendu. De toute manière, c’était ça, ou radié au Stabilo ! Je peux bien me plaindre avec mes dix pauvres kilomètres à pied.
Coup de fil à l’A.N.P.E. nationale, ils ne sont pas au courant non plus. Enfin… si, quelques minutes après, ils nous rappellent pour nous dire qu’ils sont au
courant, donc qu’ils nous envoient la police ! On a super peur ! Bien évidemment on reste, on guette. L’A.N.P.E. nationale nous redit qu’on est des affreux méchants et qu’elle appelle
de suite les C.R.S. ! Bon, en fin de compte, on n’aura vu aucun képi.
Mais ça ne nous avance pas trop dans notre affaire : on se demande toujours pourquoi on est autant à avoir été convoqués aujourd’hui. L’A.N.P.E. nationale ne sait pas non plus. Ah si !
Finalement, quelques minutes après, ils nous retéléphonent : ils viennent de se souvenir que c’est une erreur de leurs employés - qui ont pris eux-mêmes l’initiative de tous nous
convoquer ! Mais il ne faut surtout pas que nous nous inquiétions : aujourd’hui, on est certes venus pour rien, mais ils nous garantissent qu’on ne sera pas radiés au Stabilo. Non. Ils
sont cléments à l’A.N.P.E. Ils vont tous nous convoquer de nouveau, un par un, dans des conditions décentes. Évidemment, parce que trois cents personnes, avec l’aide d’organisations pour la
défense des chômeurs et des précaires, ça fait un peu peur. Alors autant nous mettre la pression en individuel, bien au chaud dans un bureau…
C'est chouette la vie de pauvre !